Les aventures extraordinaires de Guy Verchères: La Porte Rouge – Chapitre 02
Voici la suite des aventures extraordinaires de Guy Verchères dans: La Porte Rouge – Chapitre 02
CHAPITRE 02
LA VISITE
Je réfléchis… Oui, c’était cela. Si j’usais d’un stratagème. Mais d’abord il me fallait cacher la lettre de Charlie Cohen. Car je ne voulais pas la détruire ; elle pourrait peut-être servir à prouver devant les tribunaux criminels sa tentative de chantage.
Je plaçai la missive maudite sous le tapis de la table de mon boudoir. Puis je me dirigeai vers mon téléphone et appelai le numéro secret de mon oncle Guy. Ce fut son historiographe Paul Verchères qui me répondit. Il était en verve comme d’habitude :
— Oui, petite Pauline aux yeux verts, petit cœur en sucre d’érable, oui, dit-il, le célèbre Guy, ton oncle, est ici.
Je l’entendis qui disait à notre voleur et homme de bien national :
— C’est ta chaste nièce qui désire te parler. Daigneras-tu, ô Guy, t’emparer de l’acoustique téléphonique ?
Puis la voix chaude de mon oncle me parvint :
— Allô, petite Pauline, dit-il, comment ça va ?
Tout de suite, j’entrai dans le vif de mon sujet :
— Mon oncle Guy, j’ai besoin de vous. Pour une de mes amies. Tout de suite.
— Elle est mal prise ?
— Oui.
— La police est à ses trousses ?
— Non, mais la police devrait bien se mettre aux trousses de celui qui la persécute.
Guy Verchères rit :
— Donc pour une fois, dit-il, je vais travailler avec la police. Tu demeures toujours à la même place, Pauline ?
— Oui.
— Très bien, dans cinq minutes, je serai chez-toi.
Il le fut dans quatre. Dès son entrée, il me scruta longuement des yeux. Je me sentais mal à l’aise et j’étais toujours portée à fixer l’endroit où j’avais caché la lettre. Enfin, mon oncle me demanda :
— Raconte donc, ma petite.
Je lui relatai l’affaire en la mettant sur le dos de mon amie imaginaire.
— Quel est le nom de la jeune fille et le nom de l’écoeurant? demanda-t-il.
— Oh! mon oncle, fis-je, je ne puis vous dire cela. Je suis liée par le secret le plus absolu.
Il eut un geste d’impatience :
— Mais, dit-il, je ne puis toujours pas m’occuper de cette affaire sans connaître les noms des parties en cause. Que veux-tu de moi, Pauline?
— Un conseil, mon oncle.
— Explique-toi.
— Mon amie désirerait savoir si, avec la lettre incriminatrice, elle pourra faire arrêter le maître-chanteur sans que son futur mari le sache.
Mon oncle répondit tout de suite :
— Je crains bien que ce ne soit impossible.
— Comment ça?
— L’accusé sortira sans doute sous caution et alors il se fera un devoir de dénoncer ton amie à son futur.
Il y eut un long silence. Ah! la maudite lettre, pourquoi ne pouvais-je m’empêcher de regarder à l’endroit où elle était cachée?
— Mon oncle, dis-je à la fin, je vais communiquer avec mon amie et j’insisterai pour qu’elle me permette de vous révéler son nom et celui du maître-chanteur.
— Très bien, ma petite.
Silencieusement, il se leva et, sans mot dire, me baisa au front. Puis il sortit en me jetant un regard que je trouvai à la fois étrange et ironique.
Lorsque le téléphone sonna, je venais de prendre une grave décision. Oui, j’allais tenter d’intimider Cohen avec mon revolver.
— Allô, fis-je.
C’était Léda, la femme du photographe Frascati, mon patron. Elle me dit :
— Écoute, Pauline, nous donnons un petit party chez moi ce soir. Je t’invite.
— Ton mari m’a déjà invitée, dis-je en me forçant à rire. Il ne te l’a donc pas dit ?
Après avoir accepté l’invitation, je raccrochai et je me mis à faire ma toilette pour sortir. J’allais aller chez Charlie Cohen immédiatement.
Le garçon d’ascenseur s’était toujours montré bavard avec moi. Lorsque j’entrai dans sa cage, il me dit comme surpris :
— Vous sortez ?
Je ne répondis pas. Je n’eus qu’à attendre une couple de minutes à la porte de la maison-appartements. Un taxi passa. Je le hélai et il vint raser le trottoir. Nous n’avions pas fait cinquante pieds que le chauffeur freina violemment :
— Ça parle au diable, s’écria-t-il.
Je demandai :
— Mais qu’y a-t-il donc ?
— Un jeune employé de votre maison vient de prendre le numéro de ma licence. Je l’ai vu dans mon miroir.
Je me retournai et eus juste le temps de voir mon garçon d’ascenseur qui rentrait. Ainsi, quelqu’un me faisait surveiller. Quelqu’un voulait savoir du chauffeur de taxi où j’allais. Qui donc ?
J’éclatai d’un rire nerveux. Qui donc sinon mon frigorifique manche à balai de fiancé jaloux ?
Je dis au chauffeur :
— Si quelqu’un vous demande où je suis allée vous ne vous souvenez de rien, n’est-ce pas ?
Quand je lui eus remis un billet de cinq dollars, il me dit :
— C’est moi qui ai la mémoire la plus courte de tout le Canada.
Le trajet jusqu’à Rosemont était long. Cohen demeure dans la cité-jardin. Au bout d’une quinzaine de minutes, nous fûmes rendus. La porte de la résidence de Charlie était entrouverte. Je résolus de le surprendre et j’entrai sans sonner. Mais ce fut moi qui demeurai surprise. Cohen avait un visiteur. Ils étaient tous deux dans la maison et ils échangeaient des gros mots avec une furie montante.
— Je te donne jusqu’à demain pour me rembourser ce que tu m’as volé.
Inconsciemment, je venais de sortir mon petit revolver. Je n’eus pas le temps de me cacher. Le visiteur sortait du salon. Il me vit. Une fraction de seconde, il hésita. Puis résolument, il me prit le bras et de l’autre main, il m’enleva mon arme, murmurant :
— Allons, petite, sortons.
Il me fit monter dans son automobile et démarra. Sur le boulevard Pie IX, il stoppa et, se tournant vers moi, il me dit :
— Vous êtes une petite folle. Il ne faut pas tuer ; car quand on tue, on va en prison, et on souffre. Il faut savoir faire souffrir les cochons sans que cette souffrance ricochette sur nous.
Je protestai misérablement :
— Je ne voulais pas le tuer ; je ne voulais que lui faire peur.
Il éclata de rire.
— Naïve enfant, va. Où vais-je vous déposer ?
Je lui donnai mon adresse. Et nous n’échangeâmes plus un seul mot jusqu’à mon arrivée.
— Merci, fis-je en descendant de voiture.
— Y a pas de quoi. Tenez, voici votre revolver. J’ai enlevé les balles qu’il y avait dedans et j’espère que vous n’en avez pas d’autres.
Je ne répondis point. Lorsque je rentrai chez moi, je pensai : C’est curieux, nous ne nous sommes même pas demandé nos noms.
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