Les aventures extraordinaires de Guy Verchères: La Porte Rouge – Chapitre 03
Voici la suite des aventures extraordinaires de Guy Verchères dans: La Porte Rouge – Chapitre 03
CHAPITRE 03
Le party
Il était huit heures du soir. Je venais de mettre ma plus jolie robe de soirée. Et j’avais le spleen. Si j’allais à ce party, Herménégilde le saurait sans doute et casserait nos fiançailles. Mais je suis d’une nature indépendante. Marion n’est pas le seul richard à Montréal.
— J’y vais, dis-je à ma réflexion dans le miroir.
Ma réflexion sembla me répondre moqueusement :
— Évidemment tu y vas, puisque tu es habillée.
Le téléphone sonna : c’était mon oncle Guy.
— As-tu du nouveau, Pauline? demanda-t-il.
Tabou me mordit le jarret, amicalement. Je criai. J’entendis la voix de mon oncle toute changée qui me demandait :
— Qu’y a-t-il ma petite ?
— Ce n’est que Tabou qui est en jeu.
— Sors-tu ce soir, Pauline ?
— Oui, je vais à un party chez Frascati.
— Très bien. Je te rappellerai demain.
Je raccrochai. Après avoir mis mon manteau de fourrure, je sortis dans le corridor et appuyai le pouce sur le bouton de l’ascenseur. En entrant dans la cage, je demandai moqueusement au garçon :
— Vas-tu encore prendre le numéro de licence de mon taxi pour savoir où je vais ?
Il rougit et ne répondit pas. Cette fois, je dus attendre plus longtemps pour une voiture. Dès que le chauffeur démarra, je me tournai et regardai par la fenêtre arrière. Le garçon était à prendre le numéro. Dans l’ombre du soir, je lui fis un pied-de-nez qu’il ne vit naturellement pas. Puis je dis au chauffeur :
— Prenez ce cinq piastres et oubliez entièrement où vous me conduisez.
— Correct! mam’zelle.
J’ouvris ma sacoche pour en tirer mon mouchoir. C’est alors que je remarquai que mon petit revolver était toujours là, mais vide cette fois. J’avais oublié de le laisser à la maison.
Le party battait bon train quand j’arrivai. La moitié des invités étaient déjà chauds. Frascati titubait ; mais Léda, sa femme, ne semblait pas avoir pris un seul coup. Elle me présenta Rosaire Hameau et sa femme Rita. Je n’avais jamais vu ces gens, mais la rumeur voulait que Hameau détestât cordialement Cohen parce que celui-ci avait fait des passes amoureuses à Rita.
Soudain, je restai figée sur place. L’inconnu qui s’était chicané avec Cohen cet après-midi et qui était venu me reconduire chez moi dans son automobile, l’inconnu était là devant moi et il s’approchait davantage. Il s’adressa à Léda et, me désignant d’un léger mouvement de tête :
— Présentez-moi donc à cette vivace jeune fille, dit-il.
Léda s’exécuta :
— Albert Drouin, Pauline Verchères, dit-elle.
Albert Drouin me prit le bras et m’attira à l’écart. Nous nous assîmes tous deux sur un divan-studio.
— Je déteste Cohen, me dit-il sans préambule, parce qu’il m’a vendu des obligations volées.
Il expliqua :
— Je suis courtier rue Saint-Jacques.
— Mais pourquoi ne le faites-vous pas arrêter alors ? demandai-je.
— Pourquoi ne le faites-vous pas vous-même, mademoiselle?
Je baissai la tête.
— Ma jeune sœur… , dit-il soudain. Mais il n’alla pas plus loin. Sa jeune sœur avait eu le même sort que moi, le même sort que Léda, le même sort que combien d’autres? Ah! le cochon de Cohen!
C’est alors que je faillis perdre connaissance. Le cochon de Cohen entrait en personne. Il était tout souriant. Léda se précipita vers lui :
— Charlie, lui reprocha-t-elle, tu es en retard.
Frascati lui serra la main. Cohen me vit et se dirigea immédiatement vers moi.
— Tu permets, Albert, dit-il à Drouin, que je t’enlève cette charmante personne pour quelques instants?
Il me prit le bras et m’attira dans un petit boudoir solitaire.
— Demain, me dit-il rudement, j’irai voir Herménégilde Marion et si je ne lui vends pas cent mille piastres d’assurance, je lui vends ta lettre où il est question de désespoir et de bébé. Tu vas insister pour qu’il s’assure, n’est-ce pas?
— Jamais, m’écriai-je.
Nous fûmes interrompus. Le jeune Francis Desroches, frère de Léda, entrait. Il était à demi-ivre. À 17 ans, on ne porte généralement pas beaucoup la boisson. Depuis quelques mois, Francis me faisait la cour. Je décourageais ses avances, car il était bien trop jeune pour moi. Il s’écria :
— Je vous cherchais, Pauline. Venez danser avec moi.
Pour une fois, j’accueillis son offre avec joie, car elle me débarrassait de Cohen. Après une courte danse, Francis m’attira au buffet où nous prîmes quelques verres de vin mousseux.
— Du Champagne canadien-français, s’écria le jeune homme. Presque aussi bon que celui de France. C’est merveilleux.
Pauvre petit, le Château-Gai n’était pas pour le faire revenir à la sobriété. À ce moment, Cohen posa la main sur l’épaule de mon compagnon et lui dit :
— Jeune homme, maintenant que tu as eu ta danse, je te reprends Pauline.
— Ah! mais non, s’écria le petit ivrogne, Pauline est ma blonde et je la garde pour moi tout seul.
La figure du maître-chanteur exprima une contrariété impatiente :
— Viens, viens, Pauline, dit-il, ne t’occupe pas de ce jeune fou.
— Moi, un jeune fou! s’écria Francis, tu vas voir un peu, Cohen…
Vlang. Le jeune fou venait d’administrer un solide coup de poing à Charlie qui tomba à la renverse sans connaissance. Tout le monde se mit à crier en même temps.
— Espèce d’idiot, dit Léda à son frère, pourquoi as-tu fait ça ?
Francis dit d’une voix haineuse :
— Je sors; je vais acheter une trappe à rats. C’est justement ce qu’il faut pour attraper Cohen.
Et il disparut. À ce moment, le maître-chanteur reprit connaissance. Léda lui dit :
— Excuse-le; il est si jeune…
Cohen dit négligemment :
— Il ne savait pas ce qu’il faisait. C’est déjà oublié.
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